Appel des marins pour « Réparer la mer ! «
À la veille du sommet international sur les océans, initié par la France, qui se tient à Brest du 9 au 11 février, 73 marins français ont signé dans Le Point de cette semaine un appel urgent à « réparer la mer ». Cet appel a été initié par Francis Vallat, fondateur et président d’honneur des clusters maritimes français et européen, et membre de l’Académie de Marine, avec l’Union nationale pour la course au large. Nous en reproduisons ci-dessous le texte intégral tel qu’il a été publié dans Le Point.
Appel des marins pour l’Océan
Nous, marins de course au large, rameurs transocéaniques, explorateurs des mers, refusons toute fatalité mortelle pour l’Océan !
La communauté maritime avait lancé en 2013 un « Appel de Paris pour la haute mer ». Il n’a pas été entendu. Depuis près des dix ans, sous l’égide des Nations Unies, les négociations internationales concernant plus de la moitié de la surface du globe n’aboutissent pas, faute d’un véritable engagement politique des États. La mer, pourtant, nous nourrit largement, fournit la moitié de l’oxygène de notre atmosphère, séquestre une partie significative de nos émissions de gaz à effet de serre, équilibrant ainsi un climat dont on sait la dramatique perturbation. Si l’Océan permet la quasi-totalité des échanges des marchandises, il est aussi un lien inaltérable entre les pays et les cultures du monde entier, inspire poètes et créateurs, et fait rêver, autant voire plus que la Lune et l’espace, les enfants de tous les continents. L’Océan est bien notre dernier espace commun de liberté, notre ultime frontière.
Notre responsabilité de navigateurs vis-à-vis de mers chaque jour plus attaquées, affaiblies, malades, nous impose de lancer un ultime cri d’alarme : l’Homme se condamne s’il continue à empoisonner et à asphyxier l’Océan.
Le One Ocean Summit de Brest doit marquer le coup d’arrêt de cette destruction dramatique d’un bien aussi vital que commun. Nous appelons donc à cette occasion les gouvernants du monde à une initiative immédiate, résolue, cohérente, durable. Nous savons les actions vertueuses, mais insuffisantes, déjà engagées. Nous savons surtout que sans leur accélération, sans l’élaboration simultanée d’une stratégie en profondeur, sans décisions englobant la totalité du défi dans la décennie, c’est la Terre qui ne survivrait pas à la mort de l’Océan !
Ni meilleurs, ni plus exemplaires, mais plus conscients de l’état des mers, nous mettons notre légitimité au service de l’avenir de la Terre. Les mots « Océan bien commun de l’humanité », nés à Montego Bay il y a quarante ans, doivent enfin inspirer les politiques des États et des organisations multilatérales. Car l’Océan immense, baigné par mille horizons sur les trois quarts du globe, est un monde fini, fragile, dont les équilibres sont exponentiellement menacés.
Sans ignorer les colères et parfois la cruauté de la mer, nous pensons que les hommes ne peuvent ignorer ses indispensables bienfaits. Notre empreinte ne doit plus la défigurer, trahir sa grandeur, l’empêcher de remplir ses missions : permettre au vivant de respirer, être le principal moteur de la machinerie climatique de la planète, unir les hommes au lieu de les séparer, les sauver au lieu de les noyer.
Mais nous ne sommes que des lanceurs d’alerte. Nous n’avons ni la compétence, ni le pouvoir légitime et nécessaire pour décider et faire appliquer les solutions dans leur complexité. Cela, c’est le défi, l’honneur et le devoir des gouvernants !
Néanmoins, inspirés par les belles valeurs dont la mer est porteuse, nous ne pouvons pas nous dérober : seule une gouvernance internationale partagée, transparente, démocratique permettra de sauvegarder et de gérer durablement les richesses de ce bien commun unique qu’est la mer. L’utopie apparente de ce constat ne doit pas être une excuse à l’immobilisme ou aux lenteurs de négociations de traités alors que le monde ne peut plus attendre.
La seule voie, ambitieuse mais raisonnable, est une co-construction pacifique et exemplaire des États. À eux de s’organiser, en acceptant le leadership de certains, plus volontaires, pour bousculer les habitudes, refuser l’arrogance de certains sachants, le défaitisme, le cumul d’obstacles plus difficiles à déplacer que des montagnes. Aux États de redonner du lustre au courage de gouverner. À eux de tirer des bords quand il le faut, mais sans perdre le cap, avec pour amers l’intérêt général et l’urgence.
Il faut donc à Brest accélérer, pour que soit conclue en 2022 la négociation sur la haute mer, multiplier les aires marines protégées répondant aux critères internationaux, demander plus d’engagements aux pays membres de l’Organisation maritime internationale, faire l’inventaire des risques pesant sur la colonne d’eau ou sur les fonds marins, évaluer objectivement les initiatives inspirées d’abord par la communication, dénoncer publiquement les États et acteurs ne respectant pas les règles, créer une plate-forme internationale scientifique de l’Océan à l’image du GIEC, disposer d’un grand rendez-vous international dédié à l’Océan qui ne soit plus un appendice des réunions consacrées au climat ou à la biodiversité… Aider en somme l’Homme à casser la spirale mortifère condamnant les mers, comme il y réussit naguère pour celle menaçant la couche d’ozone.
Si le monde restait sourd à ces demandes, l’Europe, elle, ne peut faillir. Elle est le premier domaine maritime mondial et ne doit pas rougir, loin de là, face aux grandes puissances, d’afficher sa volonté de reprendre le leadership de la cause océanique. Puisque ce One Ocean Summit de Brest est l’événement central sur le plan environnemental de l’actuelle présidence française de l’Union européenne, le Président Emmanuel Macron et l’Europe doivent se montrer à la hauteur en termes d’engagements pour « réparer » l’Océan.
Pour l’Océan dans lequel s’écrit notre avenir, pour privilégier le meilleur moyen de lutter contre le dérèglement climatique et les menaces qui pèsent mortellement sur la biodiversité, nous saluons la création à Brest du « One Ocean Summit » et signons et lançons cet appel aux dirigeants de la planète.
Les 73 marins signataires :
- Isabelle Autissier
- Anne de Bagneaux-Savatier
- Ghislain Bardout
- Alexia Barrier
- Éric Bellion
- Yannick Bestaven
- Yvan Bourgnon
- Éric Brossier
- Dee Caffari
- Antoine Carpentier
- Catherine Chabaud
- Patrick Deixonne
- Bruno Dumontet
- Charlie Enright
- Maud Fontenoy
- François Gabart
- Jonas Gerckens
- Clément Giraud
- Mike Golding
- Damien Grimont
- Marc Guillemot
- Pip Hare
- Philippe Héral
- Conrad Humphreys
- Roland Jourdain
- Francis Joyon
- Olivier de Kersauson
- Robin Knox-Johnston
- Gilles Le Baud
- Yves Le Blevec
- Jean Le Cam
- Camille Lecointre
- Erwan Leroux
- Arthur Le Vaillant
- Éric Loizeau
- Nicolas Lunven
- Halvard Mabire
- Xavier Macaire
- Andrew McIrvine
- Paul Meilhat
- Miranda Merron
- Gaston Morvan
- Gildas Morvan
- James Neville
- Merfyn Owen
- Jimmy Pahun
- Marc Pajot
- Yves Parlier
- Kito de Pavant
- Lionel Péant
- Emmanuelle Périé-Bardout
- Gérard Petipas
- Aloïse Retornaz
- Marie Riou
- Lalou Roucayrol
- Alan Roura
- Thomas Rouxel
- Thomas Ruyant
- Damien Savatier
- Melodie Schaffer
- Damien Seguin
- Max Sirena
- Marie Tabarly
- Géry Trentesaux
- Armel Tripon
- Capucine Trochet
- Bruno Troublé
- Romain Troublé
- Morgane Ursault-Poupon
- Jean-Luc Van den Heede
- Julia Virat
- Une initiative de Francis Vallat, avec l’Union nationale pour la course au large