Les géosynthétiques, une plastification massive et invisible

A travers un enfouissement discret, les géosynthétiques contribuent à une plastification massive et quasiment invisible de l’environnement terrestre, marin et atmosphérique !

Expédition MED a contribué au dernier rapport du Comité France Océan, « CFO » pour des recommandations ambitieuses sur leurs usages. L’aboutissement d’un travail de plus d’une année remis au ministère de la transition écologique et au secrétariat général de la mer au second trimestre 2023.


Ces recommandations légitimes à l’étude actuellement nous amènent à de fortes attentes en retour.

L’un des enjeux majeurs dans la lutte contre la pollution plastique réside dans l’identification de ses sources. Le cas particulier des géosynthétiques en est emblématique au regard de la perte de connaissance de leurs usages et de localisation. Il convient donc de combler le manque d’information en mettant en place un suivi précis des usages et installations et une traçabilité de ces plastiques qui permettra également de prévenir les porteurs de projets en cas de travaux futurs dans une zone ayant fait l’objet de travaux antérieurs recourant à des géosynthétiques nécessitant d’être extraits, recyclés ou valorisés.

Certaines pratiques doivent aujourd’hui être réglementées au regard de leurs conséquences irréversibles pour l’environnement et la santé globale, sachant notamment qu’elles peuvent être remplacées par des techniques traditionnelles reposant sur des savoirs faire anciens et ne s’appuyant pas sur les plastiques.

Les géosynthétiques ont de nombreuses fonctions qu’identifie la norme ISO : le drainage, la filtration, la protection, le renforcement, la séparation, le contrôle de l’érosion de surface, la barrière, la relaxation de contrainte, d’étanchéité, d’anti-fissuration. Les durées de service prévues varient de quelques années à 100 ans. Les enjeux de gestion des géosynthétiques varient beaucoup selon les usages et leurs caractéristiques (matériaux utilisés, biodégradabilité partielle ou supposée, gestion de la fin de vie et des déchets, etc.).

Sous la présidence du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (DEB),le secrétariat du Secrétariat Général de la Mer (SGMer) et la coordination de la Plateforme Océan& Climat (POC),

Le groupe de travail fut composé d’Expédition MED et de SOS Mal de Seine.
Trois grandes séquences d’auditions ont structuré ce groupe de travail. Furent auditionnés l’entreprise Charrier, le groupe DEME, le TRAMAF, l’UMTM, l’INRAE, Ecobiotex, Novamont, l’Université Savoie Mont-Blanc, l’Université de Caen, le Comité Français des Géosynthétiques, Espace Pur, Adivalor, l’Université de Bretagne Sud.

Le groupe de travail déchets marins présente ici les recommandations issues des auditions réalisées.

Cinq grandes recommandations qui ont pour ambition de mieux prendre en compte la plastification par les géosynthétiques et de contribuer à enrayer la pollution plastique.

L’ensemble des membres du groupe de travail déchets marins appellent le gouvernement à se saisir de ces recommandations, fruit d’une concertation éclairée et intégrée, pour traduire en actes les engagements de l’État de lutte contre les plastiques avec l’objectif « zéro déchet plastique en mer ».

1 / INTERDIRE CERTAINS USAGES DE GÉOSYNTHÉTIQUES

Alors que les géosynthétiques contribuent à une plastification massive et quasiment invisible de l’environnement, à travers un enfouissement discret, certaines pratiques doivent aujourd’hui être réglementées au regard de leurs conséquences irréversibles pour l’environnement et la santé globale, sachant notamment qu’elles peuvent être remplacées par des techniques traditionnelles reposant sur des savoirs faire anciens et ne s’appuyant pas sur les plastiques.

RECOMMANDATION ET MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE

Les membres du Comité France Océan recommandent :

● D’interdire les ouvrages géosynthétiques sous-marins dont le caractère immergé, les expose à une érosion conséquente et rend complexes et coûteuses les activités de contrôle préconisées dans ce rapport. En l’attente d’une interdiction définitive, conditionner leur utilisation à l’urgence face aux risques littoraux et systématiser l’obligation de leur dépose et de leur remplacement par un ouvrage plus durable et respectueux de l’environnement une fois la situation d’urgence maîtrisée.
● D’interdire l’utilisation des géo-tridimensionnels de végétalisation et de confortement antiérosion, y compris les composites en aciers polymérisés, en particulier sur les chantiers en pente douce, et de privilégier une première végétalisation naturelle locale qui pourra, si
nécessaire, être couplée à un embellissement paysager.
● D’interdire l’utilisation des géosynthétiques en montagne pour conserver la couverture neigeuse ainsi que les géo-dalles plastiques permettant le ski hors saison et sans neige. Les géo-dalles plastiques doivent globalement être interdites dans leurs autres usages (circulation
pédestre, parkings, roulement) puisqu’il existe des alternatives naturelles, granulats ou béton.
● D’interdire les lingettes géosynthétiques (géotextiles non-tissés en fibres synthétiques) domestiques et professionnelles qui polluent l’environnement (233 lingettes sont jetées par secondes) malgré une soit-disante biodégradabilité (impliquant des coûts supplémentaires
faramineux pour les stations d’épuration) et présentent des risques pour la santé humaine (présence de perturbateurs endocriniens, toxicité, etc.).
● D’interdire les noues et fossés plastifiés en géosynthétiques, les géosynthétiques d’accès aux plages et de circulation, les clôtures géotextiles occultantes (permettant d’occulter la vue sur une propriété privée, publique ou un chantier), les géosynthétiques composites semi-naturels
(en partie constitués de fibres naturelles pour faire diversion, latexés, goudronnés ou sur matrice synthétique), les géosynthétiques paysagés ou anti-végétation (géotextiles), les géogrilles pour former des gabions plastiques de pierres, les géotextiles en pieds de berges (dont l’inefficacité remet rapidement en cause l’intégrité de la berge).

● De porter auprès des instances européennes l’imposition d’une norme de qualité pour tous les géosynthétiques utilisés en agriculture afin d’empêcher la contamination des terres et produits agricoles, notamment en imposant une date limite d’utilisation visible sur les produits.
● De faire évoluer la notion de biodégradabilité afin que celle-ci soit totale en milieu naturel et encadrée par une norme française ou européenne.

Pour le cas particulier des paillages et protections agricoles en manchons géosynthétiques, les membres du Comité France Océan recommandent de :
● Rendre obligatoire la coloration des enrubannages agricoles, des paillages et des manchons en géosynthétiques à l’aide d’une couleur vive ne se confondant pas avec le milieu naturel afin d’augmenter leur visibilité, de faciliter leur collecte et d’éviter qu’ils ne se fragmentent dans le
milieu naturel.
● Imposer l’enlèvement des manchons en géosynthétiques, en mettant en place un système de consigne couplée à une date limite d’utilisation obligeant à leur collecte et leur recyclage. La dégradation visible des manchons impose leur collecte, les anciennes cultures doivent être
traitées.

2 / METTRE EN PLACE UNE REP* POUR FINANCER UNE FILIÈRE DURABLE

Les géosynthétiques ne sont aujourd’hui pas inclus dans une filière de *Responsabilité Élargie des Producteurs (REP).
Or, étant donné les très grandes quantités de plastique enfouies dans l’environnement, l’absence de suivi de ces derniers, ou de traçabilité des ouvrages installés pour lesquels des géosynthétiques ont été utilisés, l’instauration d’une filière REP permettrait de pallier certaines de ces lacunes et de mieux préserver l’environnement de contaminations déjà en cours et futures par l’inéluctable pollution plastique.

Les membres du Comité France Océan recommandent de mettre en œuvre une filière REP pour les géosynthétiques décrits par la norme ISO 10318-1:2015. L’éco-contribution des producteurs permettrait notamment de :

● Financer la recherche scientifique publique sur la fragmentation et la dégradation de ces plastiques selon leur composition et les conditions d’installation, et la pollution qu’ils génèrent sur le long et très long terme en s’accumulant dans un milieu, notamment via le relargage
de microplastiques, microfibres, micropolluants, ainsi que le devenir nanoparticulaire du plastique.
● Mettre en place une filière de recyclage puisque les géosynthétiques sont recyclables, mais qu’il n’a jusqu’alors pas été jugé viable en France d’instaurer une filière de gestion, traitement et revalorisation de ces déchets. Celle-ci pourrait inclure également les plastiques agricoles.
● Systématiser l’inscription dans le cahier des charges d’installation et de maintien des ouvrages, l’enlèvement et le recyclage à long terme des géosynthétiques afin d’empêcher leur enfouissement définitif. Inclure dans ce cahier des charges l’obligation de réaliser un suivi et
potentiellement une maintenance de long terme couvrant la durée d’usage prévue. A défaut, imposer une date limite d’utilisation pour ces ouvrages géosynthétiques.
● Rendre obligatoire le retrait de tous les géosynthétiques (BTP, agricole, aquatique, paysager, etc.) anciennement installés et visiblement déchirés ou fragmentés ou inopérants.
● Mettre en place un fonds de garantie afin d’assurer l’extraction pour valorisation des vieilles installations abandonnées pour lesquelles des géosynthétiques ont été utilisés.
● Soutenir les exemples français en matière de collecte, traitement et recyclage dans une démarche d’autonomie stratégique.
● Mieux estimer grâce aux recherches publiques les dates de fin de vie et l’innocuité des géosynthétiques.

3 / COMPILER LES DONNÉES ET AMÉLIORER LE SUIVI DES USAGES

L’un des enjeux majeurs dans la lutte contre la pollution plastique réside dans l’identification de ses sources. Le cas particulier des géosynthétiques en est emblématique au regard de la perte de connaissance de leurs usages et de localisation. Il convient donc de combler le manque d’information en mettant en place un suivi précis des usages et installations et une traçabilité de ces plastiques qui permettra également de prévenir les porteurs de projets en cas de travaux futurs dans une zone ayant fait l’objet de travaux antérieurs recourant à des géosynthétiques nécessitant d’être extraits, recyclés ou valorisés.

● S’appuyer sur les déclarations de la filière REP pour acquérir des informations sur les ouvrages usant de géosynthétiques. Une obligation de déclaration au niveau local (mairies et DREALs) concourra également à cet objectif.
● S’appuyer sur les connaissances de terrain des ONG pour recenser les systèmes géosynthétiques à problème, dans l’environnement, en lien régional avec les DREALs.
● S’appuyer sur les sciences participatives pour que les citoyens collectent des données sur ces ouvrages.
● Cartographier l’usage des géosynthétiques et leurs localisations en :
• Identifiant le type de géosynthétiques et sa fonction ;
• Traçant les matériaux et la composition des produits utilisés ;
• Ciblant les fabricants, poseurs et responsables de leur retrait ;
• Informant du suivi mis en place pour les installations ;
• Rappelant les principaux facteurs de dégradation des installations.
● Éviter grâce à cette base de données publique que des entreprises ne soient pénalisées lorsqu’elles entreprennent des travaux dans des zones considérées comme « vierges » et présentant en réalité des géosynthétiques enfouis (retard sur l’avancée des travaux, coûts
supplémentaires, etc.).

4 / SOUTENIR LA RECHERCHE SUR LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DES GÉOSYNTHÉTIQUES

La difficile détermination de l’origine des pollutions plastiques est d’autant plus vraie dans le cas de milieux connectés, comme l’océan. Il existe donc un véritable manque d’informations au sujet de la dégradation des géosynthétiques en milieu aquatique, mais également de mesures spécifiques à ce milieu qui accueille pourtant des ouvrages en géosynthétiques. Cependant, de très récents travaux de recherche mettent en évidence la contamination d’autres milieux par les géosynthétiques dont l’apport en microplastiques sur une période donnée serait supérieur à l’apport atmosphérique, en faisant une source massive de contamination du milieu par les plastiques. Couplée aux nombreuses recherches soulignant l’importance du lien terre-mer dans la contamination du milieu marin par les plastiques.

Ces informations laissent présager que l’océan est également le réceptacle d’une pollution trouvant sa source dans les ouvrages géosynthétiques à terre ou en amont des fleuves et rivières. La recherche scientifique constitue ainsi un appui à la décision en matière environnementale qui devrait se pencher davantage sur les géosynthétiques.

● Réaliser un inventaire des recherches existantes et identifier les lacunes scientifiques afin de bâtir un programme de recherche et de lancer des études en concertation avec l’ensemble des parties prenantes.
● Lancer une expertise publique et prioriser le besoin de recherche avec pour perspectives principales :
• Les impacts : dégradation dans l’environnement (notamment aquatique, marin et littoral),
contamination de ce dernier (contamination du milieu et éventuellement des produits), cocontamination (avec les produits phytosanitaires), etc.
• Les alternatives potentielles et soutenables écologiquement et socio-économiquement :Sur l’éco-conception des ouvrages et les matériaux bio-sourcés présentant des co-bénéfices écologiques, économiques et sociaux ;
Sur les alternatives proposées par le génie écologique (plus respectueuses de l’environnement et porteuses d’emploi) tout en veillant à éviter les techniques dites « mixtes » (utilisant à la fois des matériaux naturels et géosynthétiques).
• La durée de vie et la résistance des géosynthétiques dans diverses conditions d’érosions (notamment en milieu marin ou fortement exposés aux UV) et selon leurs usages et fonctions.

5 / COMMUNIQUER ET RENFORCER LA PÉDAGOGIE SUR LES GÉOSYNTHÉTIQUES

Dans de nombreux secteurs, les professionnels et maîtres d’œuvre favorisent le recours à des matériaux géosynthétiques, souvent par manque d’informations sur l’existence d’alternatives plus durables. Cependant, il existe un véritable intérêt de la part des agriculteurs ou du secteur des travaux publics pour les enjeux environnementaux et les alternatives durables et adaptées aux enjeux locaux.
Ces alternatives présentent de nombreux co-bénéfices, d’abord environnementaux mais aussi sociaux, par exemple en termes d’emploi. En outre, certains ouvrages usant de technologies alternatives aux géosynthétiques ont prouvé depuis des décennies leur longévité et peuvent être renforcés plus facilement que les ouvrages ayant usé de géosynthétiques qui nécessitent un démontage complet et une mise en arrêt.

Les membres du Comité France Océan recommandent de réaliser, en collaboration avec les parties-prenantes un « guide des bonnes pratiques » basé sur les retours d’expériences des professionnels ayant privilégié l’utilisation de matériaux naturels en remplacement des géosynthétiques et pouvant également expliciter les limites des ouvrages en géosynthétiques.

Ce guide des bonnes pratiques permettrait :

● D’orienter les collectivités, entreprises et maîtres d’ouvrages vers des pratiques et matériaux durables et respectueux de l’environnement.
● De sensibiliser les acteurs aux impacts environnementaux de l’utilisation de matériaux géosynthétiques et aux bienfaits des solutions alternatives durables.
● D’accompagner cette sensibilisation avec la valorisation des bonnes pratiques par le biais d’avantages fiscaux ou via la création d’un Label d’État visant à mettre en avant les chantiers réellement écologiques.
● De rappeler les définitions des critères de « biodégradabilité », « compostabilité », « biosourçage » et « recyclage » ainsi que la notion industrielle de « bioplastiques » permettant de mettre en évidence les avantages et inconvénients de ces alternatives potentielles.
● De rappeler la nécessité d’inclure dans les cahiers des charges de tous les projets futurs le besoin pour les collectivités et les maîtres d’ouvrage de considérer les alternatives durables et, en priorité, locales (en utilisant les matériaux naturels disponibles localement : pierre,
granulats, etc.).
● De clarifier et rendre publics les détails des systèmes et les coûts des responsabilités élargies des producteurs.

LES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL

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